Déjà 10 ans de recherches, la passion a avalé le temps, occupée l’espace, renvoyée toute autre activité sans lien historico-familial avec l’Espagne.

Loin de me douter de la force du virus, c’est comme un jeu, un défi pour faire plaisir à mon père, pour qui j’ai cherché en 1987 un extrait de naissance de 1936, livré lors de sa naturalisation en 1966 à l’administration.

Elevé au cœur de ce terroir du Minervois, de cette terre Occitane où j'ai longtemps assimilé ma quête personnelle de racines profondes. Marqué par cette terre que j'ai appris à découvrir, que je me suis approprié pour mon amour pour elle, j'ai vibré pour son histoire, suivi sa bannière jusqu'au jour où j'ai ouvert mon cœur à la mémoire.

Rien ne me prédisposait alors, à ce qui allait suivre, cet appel irraisonné de mes racines.

Avec passion et déraison ces 10 années m'ont vu rattraper le temps perdu de l'oubli. Sur la route du soleil d'été, au fond de pièces trop chaudes, sur des routes défoncées, à pied au milieu de lieux déserts, l'amour m'a fait tourner la tête.

De chocs en rencontres, de rencontres en émotions ma vie venait de changer de sens.

Je n'étais pas préparé, je n'avais jusqu'alors pas compris l'état d'esprit, les regrets, la mélancolie que pouvait provoquer l'évocation des origines. Les souvenirs, les histoires des anciens racontés comme des trésors résonnent aujourd'hui à mes oreilles comme des pleurs du temps passé. Ils ont vécu, et par le sang enrichi de leur sueur, leur flamme restera en nous. Le déclic, il me manquait le déclic.

D'enquête ludique, l'histoire s'est peu à peu transformée. Ce papier qui aux yeux de mon père comptait tant, par défi, pour lui faire plaisir, j'ai tout mis en œuvre pour l'avoir. Aussitôt trouvé, aussitôt enfermé la relique me donna les indices, les clés et par-là même le virus.

Après toutes ces années de recherches, j'ai moi aussi mes reliques, ces objets par lesquels l'âme des lieux traversés s'est imprégnée, façonnés par ceux que j'ai cherché et souvent cru voir.

Sans eux que le chemin eut été difficile, sans eux aurais-je trouvé la voie, ma voie. Troublé par ce lien renaissant j'ai souvent fais appel. L'initiation fut longue, le chemin tortueux.

Le choc vint du lieu. Fier et sauvage, il était pareil à lui-même au travers du temps. Le chemin initiatique m'avait déjà donné le plein d'émotions. Mes pieds touchaient maintenant la terre, leur terre. Après des années de quête le moment de la rencontre était venu. Ce fut le choc.

Elle venait de me reconnaître et je renaissais.

Oubliée des vivants pour sa rudesse, elle souffrait de sa solitude. Elle ne laissa rien paraître mais je la savais heureuse.

Immobiles, majestueux les murs étaient encore là. Abandonnés depuis un demi-siècle, ils ne laissaient rien paraître de leurs malheurs.

Le lieu était silencieux, désert, le tombeau d'un temps révolu.

Il y a du sacré dans ce lieu.

Et puis il y a ces noms, tous ces noms rencontrés au fil de l'histoire. Chacun d'entre eux ramené aujourd'hui à un simple prénom, voire un nom oublié, perdu même. Pourtant ces noms, ils vivaient, ils ont séduit, ils ont conquit, ils ont aimé. Que d'histoires perdues, que d'histoires vécues, que de vies.

Pourquoi leurs rangs d'humbles les condamneraient-ils à l'oubli ?

Un nom ce n'est qu'un nom, certes, mais un nom c'est une vie, et la vie c'est tout.

Leurs traces sont plus profondes qu'un quelconque mérite de rang, leur patrimoine, c'est par leur sang qu'ils l'ont transmit, génération après génération. Il n'y avait rien de noble dans cela, juste le goût de la vie.

Et puis il y avait l'espoir, celui de survivre, de croire puis de fuir.

Ces noms n'ont rien fait pour eux, le meilleur d'eux même est en nous, notre histoire est leur histoire.

A Antonio qui s'exila par amour

A Bernardo et Ramona

A Pedro et Emeranciana

A Juan et Juana

A Vincent et Marie

Aux 292 noms, de cette cohorte bienveillante, à tous merci

Bernard Boils

Février 2002